Les Grecs croyaient-ils à leur mythes ?

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À cette question de Paul Veyne, la réponse est évidemment qu’ils y croyaient, mais pas selon la même modalité religieuse du croire qu’à notre époque. Ils y croyaient comme on croit à la réalité d’un film pendant le temps de sa projection. Ils croyaient à tout ce que leur transmettait le mythe en termes d’émotions, d’images et de symboles. Mais, tout crédules qu’ils fussent malgré tout en certaines occasions, ils ne voyaient pas l’intérêt d’une foi surnaturelle quelconque, et ils s’en défièrent même pendant longtemps, sentant peut-être au fond d’eux-mêmes à quels excès (à quelle hybris) une telle croyance pourrait les conduire. C’est que la préoccupation pour le surnaturel détourne notre attention de ce monde–ci, où nous vivons, et nous empêche jusqu’à un certain point de viser l’harmonie avec la nature. Entre le surnaturel et le naturel, il faut choisir l’ordre des priorités. Les païens, eux, choisissent le second terme. Ils se détournent de l’inconnu métaphysique au profit d’une relation plus spirituelle avec leur environnement physique. Alors que les religions révélées spirituelles disent notre rapport à l’au-delà et que l’athéisme abandonne toute spiritualité, le paganisme reste fidèle à la spiritualité, mais dans l’ici–bas : il spiritualise plutôt notre rapport à la vie intra–mondaine. Il ne prêche pas la foi, mais encourage l’émerveillement. Et c’est pourquoi la ritualité occupe en lui une place plus importante qu’au sein des religions révélées.

Le rite, pour le fidèle d’une religion monothéiste, est un adjuvant plus ou moins important à la foi ; mais c’est bien cette foi qui établit la distinction entre le croyant et le non–croyant, c’est-à-dire entre celui qui a une religion et celui qui n’en a pas (le for intérieur est le lieu où s’établit la relation avec Dieu, et cette relation prend à partir de là un tour forcément personnel : on est un vrai chrétien lorsqu’on croit en Dieu, même si l’on ne va pas à la messe, tandis qu’un homme qui irait régulièrement à la messe sans croire en Dieu ne serait pas un vrai chrétien). Pour le païen, en revanche, le rite est le noyau dur de la religion, qui ne saurait de ce fait se passer de pratique, puisque la foi est tenue pour caduc. Il n’y a rien en quoi l’on doive croire pour être païen ; mais il s’agit en revanche d’adopter une attitude particulière devant le monde, marquée par le recueillement poétique et méditatif. Or, cette attitude se trouve concrètement traduite par des rites individuels ou collectifs.

Répétons qu’il n’est pas question de croire, mais uniquement d’adorer. Il n’est pas question de révéler une vérité cachée, mais uniquement de dévoiler la merveille et le mystère de l’Être. C’est en cela que l’émerveillement remplace la foi, et qu’un système d’adoration se substitue à un système de croyances. Une religion païenne est donc structurellement différente d’une religion révélée, mais elle diffère également d’une façon radicale de l’athéisme, qui refuse toute pratique d’adoration, et qui dénie de ce fait la part spirituelle des choses. Ce qui distingue le païen de l’athée, c’est le rite. Or, pour un païen, la religion se définit par son caractère rituel, et non par une foi ; la religion est une attitude spirituelle, et non une croyance.

Il ne suffit évidemment pas de participer machinalement à un rituel pour honorer la sacralité du monde ; il faut y mettre le cœur, et, selon la formule de Confucius, prier «comme si les dieux étaient présents». Mais prier comme si les dieux étaient présents ne revient pas à croire qu’il existe un autre monde que celui-ci ! Les dieux païens font en effet partie du monde (ils ne l’ont pas créé de l’extérieur, mais le façonnent de l’intérieur). En outre, la question de leur existence matérielle importe à vrai dire très peu. Cela ne signifie aucunement que les dieux n’existent pas, mais plutôt qu’ils ont une présence symbolique, dans l’ordre de l’esprit et non nécessairement une présence physique, dans l’ordre du corps, comme tend à le croire superstitieusement le vulgaire. Le dieu est une figuration du monde, et, s’il faut donc prier comme si les dieux étaient présents, c’est de manière à s’impliquer existentiellement dans le réel au moment du rite, et afin de donner un sens réellement incarné à la prière.

Thibault Isabel

Extrait de l’ouvrage «Qu’est-ce qui arrive à la Spiritualité?», dirigé par Marc Halévy, 2020, éditions Laurence Massaro, pp. 242-244



Les Grecs croyaient-ils à leurs mythes? À cette question de Paul Veyne, la réponse est évidemment qu’ils y croyaient,...

Publiée par Thibault Isabel sur Lundi 5 octobre 2020


Présentation de l'ouvrage : Spiritualité ? Sans doute la plus grave pénurie de notre époque. Il ne s’agit pas de religions ou de croyances. Il s’agit d’autre chose.

La spiritualité est un ensemble de chemins, portés par des traditions, qui n’ont souvent, qu’un seul but : trouver ou donner du sens à son existence personnelle, à sa famille, à sa communauté, à sa région, à son entreprise, à ses actions, à ses engagements…

C’est apprendre et faire comprendre aux gamins que leur vie prend du sens et de la valeur, pourvu que l’on aille plus loin que le nombril et que l’on mette cette vie au service de quelque chose de noble qui nous dépasse.

Les plumes qui ont écrit ce livre ne voient pas la spiritualité avec le même regard, mais elles s’accordent sur ceci : l’humain doit dépasser l’humain pour devenir réellement homme !

 





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