La pensée écologique au sein du GRECE, Stéphane François
Article : La pensée écologique devient importante au GRECE à compter du milieu des années 1980, il s’agit d’une conséquence d’une lecture d’Heidegger et d’autres auteurs de la Révolution Conservatrice allemande des années 1920 et 1930, et de ses héritiers, tel l’Allemand Hennig Eichberg, qui deviendra dans les années 1980 un militant écologiste. Auparavant dominait au sein du GRECE plutôt un discours faisant l’apologie de la science et de la technique. Dans les années 1970 Alain de Benoist avait des mots très durs sur les écologistes, assimilés à des hippies coupés de la réalité. Cette évolution est liée à une autre, capitale dans l’évolution du GRECE: le tournant antimoderne et antioccidental qui voit le renouvellement doctrinal de la Nouvelle Droite, l’Occident incarnant l’acculturation et l’américanisation des mœurs. Hostile au matérialisme, au capitalisme et à la mondialisation, le GRECE, a alors pour ennemis la société de consommation et les États-Unis. C’est le deuxième corpus doctrinal qui correspond à la période chronologique allant grosso modo de 1979 à 1989.
Les références sont alors partiellement renouvelées : Heidegger donc, mais également René Guénon, Julius Evola, les auteurs de la Révolution Conservatrice allemande (Spengler, Jünger, Niekisch, Schmitt), des universitaires comme Georges Dumézil ou Mircea Eliade, mais aussi des anthropologues comme Robert Jaulin (et son concept d’«ethnocide») et Claude Lévi-Strauss. Durant la seconde moitié des années 1980, les non-conformistes des années 1930 (dont les personnalistes chrétiens) sont redécouverts et intégrés aux références doctrinales. Teddy Golsmith est lu et commenté dès le début des années 1990, tout comme les auteurs décroissants et les localistes américains. Rousseau est lu aussi, mais plus tardivement : les articles le concernant datent surtout du début des années 2000. Rudolf Steiner et l’anthroposophie ne sont guère cités. La bibliothèque néo-droitière fait désormais une part importante aux penseurs critiques de la modernité et de la technique.
D’ailleurs, à compter de 1993, Alain de Benoist publia plusieurs articles sur l’écologie, parus principalement dans Éléments («La nature et sa “valeur intrinsèque”», «Les enjeux de l’écologie», «Sur les deux écologies», «Écologie et religion», «La nécessaire rupture», « Objectif décroissance. Avant que la Terre ne devienne invivable…», «Quand il n’y aura plus de pétrole») qui furent réunis en ouvrage en 2007 (Demain la décroissance. Penser l’écologie jusqu’au bout).
Le renouvellement est aussi permis par des auteurs moins engagés dans des polémiques que les auteurs du GRECE des années 1970, tel Thibault Isabel, l’actuel responsable de Krisis (la revue fondée par Alain de Benoist il y a vingt ans). Il s’intéresse depuis longtemps à la fois aux questions écologiques, à la notion de progrès et aux sociétés de la modernité finissante. C’est un auteur prolifique à la pensée dense, qui s’inscrit dans la continuité de la pensée de Jean-Claude Michéa. Un point important à préciser: il ne vient pas de l’extrême droite, mais de milieux anarchisants. Dans les années 1990 il y avait également Laurent Ozon, alors animateur de la revue Le recours aux forêts. Ozon dirigea même une collection chez Le Sang de la terre, un éditeur réputé dans le milieu écologiste. Il est devenu par la suite une figure importante de la mouvance identitaire, aujourd’hui assez isolé.
L’apport de l’écologie a aussi à voir avec le souci de dialoguer avec les autres champs idéologiques et au renouvellement de la pensée géopolitique. Le GRECE soutient depuis le début des années 1980 un «tiers-mondisme de droite» qui a permis un dialogue avec certains animateurs de la Revue du MAUSS, Serge Latouche et Alain Caillé. Ce dernier s’est vite éloigné voyant une récupération du MAUSS, effective. Serge Latouche a continué de dialoguer et les publications du GRECE le citent encore. Il y a eu également un dialogue fécond avec Waechter et Goldsmith entre la fin des années 1990 et le début des années 2000. Aujourd’hui, ces références sont minorées au profit de leur intérêt pour les thèses de Jean-Claude Michéa et pour le «populisme de gauche».
La diffusion des thèses écologistes de la Nouvelle Droite s’est ensuite faite assez naturellement car on retrouve des membres du GRECE parmi les militants identitaires (Vial, Mabire, Roudier, Santamaria, Millau, etc.). L’association Terre & Peuple a été fondée par des militants (Pierre Vial, Jean Haudry et Jean Mabire) qui ont quitté le GRECE, en désaccord avec le discours différentialiste d’Alain de Benoist. Ils sont alors partis au FN avant de suivre la scission mégrétiste. Ils soutenaient au contraire l’idée inverse d’une affirmation ethnique, qu’on retrouvera par la suite dans les discours identitaires. En fait, ces personnes incarnaient l’aile völkisch du GRECE: enracinement, racisme, écologie, éloge des communautés, paganisme, attachement au folklore, etc.
En quittant le GRECE, ces militants ont pris dans leurs bagages une partie de la doctrine gréciste, dont l’écologie identitaire, qu’ils ont transmise aux autres groupuscules – de plus, il faut aussi avoir à l’esprit que les publications/positions du GRECE sont lues et commentées par des groupes aux thèses parfois éloignées de la Nouvelle Droite.
Dans cette périphérie politique, il fat citer les cas de Dun et de la revue Réfléchir & Agir. L’ex SS Robert Dun (pseudonyme de Maurice Martin) est de plus en plus oublié, y compris à l’extrême droite. Il n’y a plus guère que Terre & Peuple et Réfléchir & Agir qui y font encore référence. Pourtant, il a été un pionnier de l’écologie (de tendance völkisch) au sein de l’extrême droite. Il a eu des liens avec le GRECE: il a publié dans les années 1980 au Labyrinthe, la maison d’édition de la Nouvelle Droite, une traduction de Nietzsche qu’il a traduit et commenté (Robert Dun (traduction et commentaires de), Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Paris, Livre-club du labyrinthe, 1983), mais il était plus proche de la tendance identitaire de celui-ci (incarnée par Vial, Mabire, Haudry, etc.) et de la librairie Ogmios (il y publia en 1986 dans sa maison d’édition –Avalon– une traduction du Mythe du XXe siècle d’Alfred Rosenberg sous le pseudonyme d’Adler von Scholle) que de Benoist et de la tendance différentialiste.
Il a longtemps été un intellectuel isolé professant un paganisme écologique, identitaire et raciste. L’équipe de Réfléchir & Agir se réclame de lui. Certes, c’est une petite revue, mais elle existe depuis près de vingt ans (elle en est à son 55ème numéro, consacré au «nationalisme blanc»). Elle a fondé sa propre maison d’édition, Auda Isarn, qui sort quelques livres par an. De fait, Dun est surtout une référence chez les néonazis et les néo-völkisher français, qui sont parfois les mêmes.
Mais l’idée d’un écologisme englobant l’être humain et ses normes a été intégrée surtout par des cercles catholiques. La jonction se fait sur plusieurs points doctrinaux : anti-occidentalisme, décroissance, différentialisme, sacralisation de la nature (alors que Benoist a toujours mis en avant le fameux article de Lynn White sur l’origine chrétienne de l’arraisonnement du monde, sans parler de leur utilisation des thèses d’Eugen Drewermann), rejet de la théorie du genre, rejet de la PMA, de la marchandisation du monde et des corps, etc. Il y a non seulement un respect mutuel, mais aussi une fascination de ces jeunes gens pour l’intellectuel Alain de Benoist et ses thèses.
On n’est pas dans la même logique que celle mise en place par les soraliens: les néo-droitiers ne font guère références à l’agro-écologie et ne sombrent pas un conspirationnisme antipharmaceutique, bien que parfois Alain de Benoist estime que notre époque est trop médicalisée. Cela vient peut-être du fait que certains grécistes historiques étaient des cadres importants dans des entreprises de ce secteurs; au-delà de cela, il faut prendre en compte le fait que le GRECE n’a jamais fait ni dans le conspirationnisme, ni dans la pensée antiscientifique (dite «alternative»).
Concernant la « Nouvelle écologie » du FN, elle n’a rien à voir avec celle que le GRECE a formulé dans les années 1990-2000: elle reste très superficielle et très productiviste, là où Alain de Benoist propose de rompre avec le productivisme occidental. En effet, la Nouvelle Droite a théorisé une forme de décroissance identitaire (rejet du productivisme et du prométhéisme technicien, constat de la fin de la civilisation du pétrole, éloge de la frugalité, «valeur intrinsèque de la nature», fin de l’anthopocentrisme, idée de co-appartenance de l’homme et du cosmos, etc.).
Stéphane François (Temps Présents)
_________________________________________________________________________________
Sommaire Serge Latouche / Peut-on concilier la croissance et l’écologie? Entretien avec Bertrand Guest / L’idée de nature chez Humboldt, Thoreau et Reclus. Yves Christen / Le mystère de la biophilie. Alain Gras / Monde animal et monde humain. Falk Van Gaver / Pour une éthique du vivant. Jean-François Gautier / Aux origines de la «phusis» hellénique. Jean Guiart / Témoignage : Nature et culture, des concepts vides et sans fondement. Entretien avec Augustin Berque / La catastrophe écologique moderne. Jean-François Gautier / Des cosmopolitiques multiples. Thibault Isabel / Le respect de la nature comme élévation du sentiment d’exister. Entretien avec Jean-Claude Guénot / Le réveil du sauvage. Pierre Schoentjes / De la guerre aux années hippies : pacifisme, retour à la terre et écologie chez Exbrayat. Alain Sennepin / Le grand cachalot. Débat entre Frédéric Dufoing, Thibault Isabel et Falk Van Gaver / Le christianisme est-il éco-compatible? Alain Santacreu / L’écosophie à venir. Jean-François Gautier / L’espace, le quantique et les oiseaux.
_________________________________________________________________________________
POUR COMPLETER LA REFLEXION :
À la question de la conciliation de la croissance et de l’écologie, la réponse devrait apparaître évidente à toute personne sensée : une croissance infinie est incompatible avec une planète finie. Cependant, cette évidence qu’un enfant de 5 ans comprendrait, il semble que les responsables politiques et économiques ne peuvent ni ne veulent la comprendre. Elle fait l’objet d’un déni de leur part à tous, à l’exception notable, récente et limitée du Pape François, mais il est vrai qu’il s’agit d’un chef de gouvernement sans responsabilités proprement politiques – sa responsabilité est d’abord religieuse, et le Vatican est un État sans territoire et ne faisant pas partie de l’organisation des Nations-Unies. La plupart des responsables, y compris voire surtout les ministres de l’Environnement, se gargarisent de l’affirmation de la compatibilité de l’économie et de l’écologie, en soulignant même parfois la racine grecque commune des deux termes. Cela permet de contourner, mais de façon purement rhétorique, une «vérité qui dérange» pour le dire comme l’ex-vice-président Al Gore à propos du seul changement climatique. Il n’empêche qu’il y a incompatibilité radicale entre la logique de la société de croissance – et donc de l’économie – et l’impératif écologique; cependant, le déni de cette incontournable vérité dérangeante, quand il n’est pas affiché frontalement, est contourné par toutes sortes de subterfuges comme le développement durable, source de toutes les croissances vertes.
Leave a Comment