Krisis 41 : Sexe(s) ? / Genre(s) ?

Si personne ne songe évidemment à contester l’importance d’une meilleure entente entre les sexes, ou même d’une plus grande équité à l’égard des femmes, les critiques n’en ont pas moins rapidement fusé contre cette mesure ministérielle, y compris à gauche : Sylviane Agacinski et Michel Onfray, parmi beaucoup d’autres, se sont opposés à certains excès des «théories du genre». La plupart des intellectuels qui critiquent ces théories acceptent tout à fait l’idée que nous suivons partiellement des codes de genre (masculins ou féminins), sous la pression du contexte socio-culturel dans lequel nous baignons. Mais cela n’implique pas que nous soyons hommes ou femmes par pur conditionnement social ; et la place de l’inné dans la prise en compte du phénomène humain devrait être au contraire réhabilitée.
Le public français n’a découvert les études de genre qu’assez tard et continue d’en avoir une connaissance approximative. Même le monde universitaire s’est montré plutôt indifférent, en comparaison de la déferlante des «gender studies» anglo-saxonnes. Qu’elle que soit l’opinion portée sur ce champ disciplinaire, une telle méconnaissance reste dommageable, dans la mesure où l’on ne peut cautionner ou réfuter avec intelligence que ce que l’on comprend. Les textes proposés dans ce numéro de Krisis tentent donc d’aborder avec nuance ces différentes problématiques, qui méritent bien sûr d’être traitées d’une manière précise et honnête, loin des emportements partisans de toute sorte.
KRISIS n° 41
Sexe(s) ? / Genre(s) ?
Maurice Godelier / De la différence entre le masculin et le féminin et entre l’homme et la femme.
Nancy Huston / Hommes en désarroi.
Alain de Benoist / Les femmes selon Raymond Abellio.
Entretien avec Jean-Paul Mialet / Le déni des différences sexuelles et ses conséquences sociales.
David L’Epée / La performance de genre : une parodie sans modèle..
Yves Christen / Une guerre des sexes dans le cerveau.
Jacques Balthazart / L’orientation sexuelle est aussi une affaire de biologie
Thibault Isabel / Le sexe exclut-il le genre ? Réflexion sur l’inné et l’acquis dans l’identité homosexuelle.
Yves Ferroul / Femmes et sexualités dans le bassin méditerranéen.
Entretien avec Agnès Giard / Le sexe au Japon.
Thibault Isabel / Le problème de la séparation des sexes à travers l’histoire. Hommes et femmes doivent-ils être complémentaires ou semblables ?
Michel Lhomme / L’androgyne.
Le texte : Mircea Eliade / Dieu-le-Père, Terre-Mère et hiérogamie cosmique. (1957)
Françoise Bonardel / La crise de l’identité culturelle européenne.
Entretien : Krisis est devenue depuis la rentrée une revue trimestrielle régulière, et adopte pour l’occasion une toute nouvelle couverture en couleurs. Son numéro 41 s’intitule «Sexe(s)/Genre(s) ?» et rassemble beaucoup de contributeurs prestigieux.Thibault Isabel, rédacteur en chef de la revue, vient nous présenter le thème du dossier.
> Un entretien publié sur L'Echelle de Jacob.
Sébastien Vecchio : Pourquoi avoir choisi de consacrer le dernier numéro de Krisis à l’idéologie du genre?

Najat Vallaud-Belkacem, lorsqu’elle était ministre des Droits des femmes, a jeté un pavé dans la mare en lançant son fameux «ABCD de l’égalité». La priorité éducative de l’actuel gouvernement n’est visiblement pas de réhabiliter la culture et l’étude des langues anciennes, mais de « déconstruire les stéréotypes de genre» chez de pauvres enfants de maternelle qui n’ont rien demandé à personne ! Malheureusement, les Français ne comprennent pas toujours à quelle sauce ils risquent d’être mangés à l’avenir, car ils connaissent en réalité très mal les «gender studies» anglo-saxonnes, qui servent de Bible à nos politiciens. Nous avons donc jugé essentiel de réarmer l’intelligence contre cette nouvelle idéologie (mais aussi accessoirement de montrer ce qui peut malgré tout être conservé dans les études de genre, qui n’ont pas en définitive que des défauts).
Sébastien Vecchio : Comment l’idéologie du genre influence-t-elle la vie de couple aujourd’hui?
Thibault Isabel : La situation devient alarmante, à beaucoup de niveaux. Les hommes et les femmes ne savent plus comment vivre ensemble. On leur demande d’être parfaitement similaires: les femmes doivent être des mâles comme les autres, et les hommes ne sont appréciés que lorsqu’ils perdent toute virilité. Mais les codes sociaux qui permettaient de réguler la vie de couple ont disparu et, dans les faits, les conjoints éprouvent de plus en plus de mal à se parler et s’entendre. Plus les gens se ressemblent, moins ils se comprennent! C’est ce que montre très bien le féminisme différentialiste, qu’incarnent notamment Luce Irigaray, Sylviane Agacinski et Camille Froidevaux-Metterie: la revalorisation des femmes dans la société ne transite pas par l’effacement de tous les repères, mais par le respect des différences.
Les cultures traditionnelles, au contraire de la nôtre, reposaient précisément sur l’idée de complémentarité. C’était une marque de sagesse, car les hommes et les femmes ont en effet besoin les uns des autres, tout comme les jeunes et les vieux, les manuels et les intellectuels, etc. Or, aujourd’hui, dans la nouvelle culture individualiste et libérale, chacun veut être complet par soi-même, pour ne pas avoir à se soucier du reste de la collectivité (le couple, la famille, le quartier). L’androgynie devient notre rêve secret d’autosuffisance. Mais c’est une dangereuse illusion! L’individu ne sera jamais assez fort pour pouvoir se passer d’autrui, et ce culte irréaliste de la performance n’engendrera finalement qu’une perpétuelle insatisfaction.
Sébastien Vecchio : Les transformations sociétales que vous évoquez ont-elles un impact également sur la vie sexuelle?
Thibault Isabel : Le sexe s’est rarement porté aussi mal qu’à notre époque. Certes, la pornographie a pignon sur rue, grâce à la mode des sexshops et au développement de l’Internet, si bien qu’à l’âge de douze ans, plus de trois quarts des garçons et la moitié des filles ont déjà visionné un film X! Mais, en réalité, les rapports hommes-femmes sont désastreux, les couples n’ont jamais été aussi fragiles et le sexe n’est plus qu’un long chemin de croix, comme le décrivent très bien les romans de Michel Houellebecq. On pourrait aussi parler de la situation dans les banlieues, où les jeunes filles sont soumises au regard inquisiteur et oppressant des «grands frères», tandis qu’elles sont harcelées à la moindre occasion par les avances vulgaires d’adolescents mal élevés qui les sifflent dans la rue et les suivent des yeux avec une insistance voyeuriste. Ce problème de machisme dépasse d’ailleurs largement les frontières sociales: il se retrouve jusqu’à un certain point dans tous les milieux, y compris chez les populations les plus aisées.
Bien sûr, on ne doit pas sombrer pour autant dans le néo-puritanisme. Au contraire! La situation actuelle signe en fait la mort du sexe épanoui. D’un côté, certains se vautrent dans un sexisme maladif qui les pousse au harcèlement et au machisme ; tandis que, dans le même temps, les théoriciens du genre nous somment d’abandonner toute identité et de rester sexuellement indifférenciés! Aucune de ces attitudes ne favorise l’harmonie des rapports de sexe, ni celle de la sexualité, qui se nourrit plutôt d’équilibre, de différence et de respect. Un juste milieu reste plus que jamais à établir.
Sébastien Vecchio : Pouvez-vous nous présenter rapidement les auteurs du numéro?

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