Portrait Païen
QUI ES-TU ET QUE FAIS-TU DANS LA VIE ?
Je suis philosophe. J’ai écrit plusieurs ouvrages et une multitude d’essais dans des revues académiques. Je suis spécialisé dans une discipline qu’on appelle l’anthropologie culturelle: à mi-chemin entre la philosophie, la sociologie et l’histoire, cette discipline consiste à étudier les différentes cultures, tant dans leur diversité géographique qu’historique, pour tenter de mieux comprendre les spécificités de chacune, ainsi que leur mode de fonctionnement symbolique, tout en en tirant des conclusions à valeur plus générale sur la civilisation humaine.
OÙ VIS-TU ET QUELS SONT TES CENTRES D'INTÉRÊTS ?
Je vis à Lille, et mes centres d’intérêts sont essentiellement universitaires: philosophie, histoire, religion et arts. Je suis également passionné de jeu de rôle et de sport (notamment le cyclisme, comme spectateur assidu, ainsi que le catch, dont j’ai été pratiquant amateur).
COMMENT EN ES-TU VENU AU PAGANISME ?
Dans l’enfance, comme pour beaucoup de païens de ma génération, je crois, certains dessins animés ont joué un rôle important : Ulysse 31 et Les chevaliers du zodiaque, en particulier, qui comportaient l’un et l’autre une composante païenne. J’avais été frappé aussi par une série de « Livres dont vous êtes le héros » se déroulant dans la Grèce mythologique («L’odyssée d’Althéos»). Sans doute cela m’a-t-il incité à me tourner assez vite vers des lectures antiques: au sortir de l’enfance, j’étais déjà passionné par Homère, Hésiode, Confucius et la sagesse taoïste. Nietzsche est le premier philosophe que j’aie lu, précisément parce que j’appréciais en lui le philologue féru de culture ancienne. Ensuite, mes centres d’intérêts universitaires ont achevé la formation de mon « esprit païen », à travers l’étude de l’Antiquité. Mais, pour dire vrai, j’ai très tôt été attiré par le paganisme, sans que je puisse dire pourquoi. A 9 ou 10 ans, je pense que je priais déjà les dieux.
QUELS ONT ÉTÉS LES ÉVÉNEMENTS MARQUANTS DE TON PARCOURS PAÏEN ?
Ces événements sont presque toujours des livres, comme pour à peu près tout dans ma vie. Ma première lecture des « Travaux et des jours » a été un événement marquant. Plus tard, lorsque j’étais adulte, c’est le «Xunzi» qui m’a frappé l’esprit de la manière la plus profonde, dans une veine moins mythologique et plus philosophique.
COMMENT DÉFINIRAIS-TU TON PAGANISME AUJOURD'HUI ?
Je suis un païen archaïque, c’est-à-dire attaché au paganisme de l’époque des débuts de la civilisation : Homère en Grèce, les Védas en Inde, le premier confucianisme en Chine. Je suis très attaché à l’idée de panthéisme, à mes yeux indissociable de cette forme de paganisme, mais suis en revanche très hostile à toute forme de transcendance. La métaphysique constitue à mes yeux une entorse au paganisme archétypique, quant à lui dévolu au pur respect de l’immanence. Je suis donc réfractaire aux cultes à mystère, au néoplatonisme, à l’hermétisme, à la métempsychose, etc. Je pense aussi que les pratiques magiques témoignent d’une certaine crédulité, exactement comme beaucoup de chrétiens pensent que les miracles de Lourdes relèvent de la superstition populaire (dont on ne doit pas s’indigner, certes, mais qui ne doit pas être pour autant encouragée). A l’époque moderne, j’estime que les meilleurs continuateurs du paganisme ont été Giordano Bruno, Goethe et Nietzsche, qui défendaient tous une forme de panthéisme et s’opposaient au dualisme métaphysique.
COMMENT LE VIS-TU AU QUOTIDIEN ?
De manière essentiellement intellectuelle, mais très présente. En tant qu’écrivain, je me lève le matin en commençant à lire et à écrire des textes qui traitent pour une bonne part de paganisme. Je consacre donc l’essentiel de ma vie éveillée à la religion païenne. Je respecte en famille les principales fêtes du calendrier, pour lesquelles nous avons mis au point des rituels simples inspirés de cultes traditionnels. Je n’ai jamais participé à des cérémonies païennes en groupe élargi, et n’en éprouve pas le désir. J’aurais trop peur d’y trouver une composante folklorique, à grands renforts de costumes et de reconstitutions historiques, alors que le paganisme n’a de sens à mes yeux qu’en tant que religion vivante, intégrée dans la vie sociale ordinaire. Je préférerais des cérémonies plus sobres, en vêtements élégants, mais modernes, agrémentés de lectures de poésies et de textes de réflexion. On retrouve là mon côté parfois austère, j’en conviens: je ne suis malheureusement pas du genre à soulever les foules d’enthousiasme. A ma décharge, je pense cependant aussi que la fête joue un rôle majeur en paganisme : passer de belles soirées entre amis, c’est être païen! Et avoir des amis païens doit être plus drôle encore! J’ajoute enfin que le paganisme ne devrait pas selon moi se confondre avec une démarche idéologique : on a le droit de faire de la politique si l’on veut, mais je pense préférable d’en distinguer la religion, dans la majeure partie de ses manifestations au moins. Cela m’éloigne donc de facto d’une multitude de groupes païens chez qui les orientations politiques jouent un rôle central. De toute façon, n’ayant pas de camarade païen à proximité de chez moi, ces réticences demeurent purement théoriques : dans les faits, je n’ai guère l’opportunité de participer à quelque cérémonie que ce soit.
EN TANT QUE PAÏEN, QUELS SONT TES SOUHAITS POUR L'AVENIR ?
Franchement, mes souhaits sont grands, mais mes espoirs sont minces. Les religions sont en pleine déliquescence, sinon à travers certaines expressions fanatiques (dont la dimension réactive n’est que trop évidente : lorsque les systèmes de croyance se désagrègent, on voit naturellement naître une foule de mouvements fondamentalistes, dans tous les bords religieux, en réaction à l’attiédissement général de la foi). Je ne pense donc pas qu’une nouvelle religion puisse émerger aujourd’hui autrement que sous une forme dégradée. Je crois qu’il faudrait un changement de paradigme civilisationnel considérable pour que le goût du religieux refasse surface d’une manière satisfaisante. L’engouement pour les spiritualités exotiques ou le développement personnel ne me convient personnellement pas du tout, car la raison d’être de ces «modes» me semble essentiellement commerciale. Le jour où les gens seront moins accaparés par leurs soucis professionnels et administratifs, où ils auront davantage le temps de s’occuper d’eux-mêmes et des autres, le vrai sens de la religion et de la fête refera surface. C’est ici que mes préoccupations politiques rejoignent certainement malgré tout mes préoccupations religieuses.
UNE DERNIÈRE CHOSE À AJOUTER ?
Le paganisme n’est pas mort. Même si nous vivons dans des sociétés profondément christianisées, nombre de nos structures mentales collectives sont encore tout imprégnées de paganisme. Je pense sincèrement qu’un jour, dans un laps de temps qu’il nous est difficile de prévoir, le paganisme renaîtra, peut-être pas sous sa forme ancienne, mais sous une forme nouvelle, ce qui est encore mieux! Tous nos efforts actuels pour rendre son sens à cette religion (ou plutôt à cette nébuleuse de religions) finiront par payer un jour, pour nos enfants ou nos petits-enfants, voire au-delà.
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