L'ambivalence de l'homme

C’est qu’en effet un discours moral ou politique doit se fonder sur une juste évaluation de la nature humaine. Que l’homme soit intrinsèquement un loup pour ses semblables, par exemple, et tous les appels à la bienveillance ou à la charité sonneront comme d’insupportables mièvreries. Dans ce cas de figure, l’harmonie de la cité ne pourra être maintenue qu’à l’aide d’un pouvoir répressif et policier, voire à travers la défense de l’« intérêt bien entendu » (il faudrait alors persuader le citoyen qu’il a individuellement intérêt à s’associer aux autres hommes, et qu’il trouvera ainsi un avantage plus grand que s’il s’était comporté de manière purement égoïste ; mais, paradoxalement, ce désir d’association se fondera toujours alors sur un égoïsme fondamental, jugé indépassable).
Admettons en revanche que l’homme soit intrinsèquement bienveillant et charitable. Dans ce second cas de figure, le cynisme d’une morale ou d’une politique désenchantée contribuerait à éteindre en nous la flamme de l’amour, à dessécher notre ferveur et à nous corrompre. C’est plutôt en nous encourageant à exprimer librement notre générosité gratuite et désintéressée qu’on nous pousserait à donner le meilleur de nous- mêmes, et à exprimer le plus dignement notre humanité. Mais ces schémas de pensée sont-ils adéquats à la réalité de notre nature ? L’homme se laisse-t- l enfermer dans une anthropologie dualiste, où il serait soit considéré comme bon, soit comme mauvais ? Faut-il que tout le mal vienne de l’individu, et tout le bien de la société, ou qu’inversement tout le mal vienne de la société, e tout le bien de l’individu ? L’homme n’est-il pas plutôt une personne, c’est-à-dire un être certes autonome et singulier, mais en même temps connecté aux autres, et par cela même à la fois bon et mauvais, ou plutôt généreux et intéressé.
En définitive, on peut sans doute dire que l’homme, comme le monde, est fait d’ambivalence. Sa nature n’est pas une question mais une réponse.
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