Un anarchiste conservateur, par Eugénie Bastié, Figaro magazine, sur le livre Pierre-Joseph Proudhon de Thibault Isabel

Recension : Le figaro Magazine, samedi 23 juin 2017



Eugénie Bastié Figaro Magazine
Figaro Magazine du 23 juin 2017

Eugénie Bastié Figaro MagazineOn retient de lui la célèbre sentence provocatrice : «La propriété, c'est le vol». Il était revendiqué par Jaurès et Maurras, il a influencé Bakounine et Péguy. Pierre-Joseph Proudhon a joué un rôle de premier plan dans l'histoire de la philosophie politique. Né vingt ans après la Révolution française, à Besançon, l'inventeur du mot « anarchisme » est inclassable. Autodidacte, rare penseur du XIX° siècle à être issu d'un milieu ouvrier, Proudhon fut journaliste, polémiste, philosophe et même député en 1848. Dans son essai Pierre-Joseph Proudhon, l'anarchie sans le désordre, Thibault Isabel nous invite avec pédagogie à découvrir les multiples facettes d'un philosophe sous-estimé, perdant de la bataille des idées.
Proudhon tente de réconcilier dans un « anarchisme conservateur » le besoin d'autorité et celui de liberté. Dans la lignée du socialisme à la française d'un Fourier ou d'un Leroux, il plaide pour une « philosophie des producteurs » qui mette le travail au centre de la société. Contrairement à Marx qui souhaite renverser le capitalisme par le haut, quitte à employer les moyens les plus brutaux, il n'aura de cesse de dénoncer la double aliénation du capital et de l'Etat.
Proudhon Eugénie Bastié Figaro MagazineContre le centralisme jacobin et la jungle capitaliste, il propose le fédéralisme intégral sur le plan politique et le mutuellisme sur le plan économique. Il plaide pour l'établissement de frontières solides dans le commerce pour éviter l'établissement de grands monopoles transnationaux. Il appelle à encourager la petite propriété, le travail coopératif, le tissu associatif et l'organisation de solidarités locales. Anticapitaliste, Proudhon n'est pas antilibéral : bien au contraire, il considère que les libertés individuelles sont la seule chose sur laquelle doit veiller l'Etat.
Après que le marxisme a montré son caractère funeste, l'heure de la revanche sonne pour le Bisontin. Loin du «ni Dieu ni maître» des casseurs en rouge et noir, sa pensée est une ode à l'équilibre, un « ni Wall Street ni soviet » d'une surprenante actualité. Disciple d'Héraclite et de Montaigne, Proudhon croit à l'irréductible pluralité du réel et à la mesure des choses. C'est sans doute en cela qu'il est conservateur : il n'espère ni lendemains qui chantent ni refonte d'un homme nouveau. A l'instar de Weil ou Camus qu'il influencera, il croit, comme l'écrit Isabel, que : «La révolution est dans les âmes plutôt que dans les urnes ou sur les barricades.»  
Ci-dessus, à droite, Gustave Courbet, Portrait de P.-J. Proudhon en 1853, Petit Palais
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