Recension : Proudhon est le grand oublié de l’histoire des idées, occulté par son frère ennemi d’outre-Rhin Karl Marx.
Passé à la postérité avec sa formule « la propriété, c’est le vol » – par surcroît, bien mal comprise –, Proudhon est le grand oublié de l’histoire des idées, occulté par son frère ennemi d’outre-Rhin Karl Marx. Pourtant, « jusqu’au dernier tiers du XIXe siècle, c’est Marx qui était presque inconnu, et Proudhon qu’on admirait dans toute l’Europe socialiste ! », rappelle opportunément Isabel, qui ajoute que « ce Franc-Comtois né vingt ans après la Révolution française fut la tête de proue des milieux contestataires, alors que naissaient les premiers mouvements de révolte contre l’économie libérale ».
Il en ressort un portrait tout en nuances d’un homme qui, aujourd’hui, serait ostracisé pour malaria lepenia, lors même que le lepénisme – du père comme de la fille, voire de la petite-fille – serait aux antipodes de la pensée fédéraliste, c’est-à-dire antijacobine, subsidiariste, mutuelliste, anti-utopique, autogestionnaire, communaliste, contractuelle, protectionniste, solidariste, antiparlementaire, antilibérale, anticapitaliste mais libertaire enracinée de Proudhon qui, par ailleurs, « multipliait les hommages à la royauté, qui ne lui semblait pas du tout incompatible avec un régime équilibré », c’est-à-dire authentiquement anarchiste. Michel Onfray insiste d’ailleurs, dans sa préface, sur la sémantique en soulignant que « l’anarchie n’est pas synonyme de “désordre”. Elle est synonyme de “rejet du pouvoir”, comme l’indique son étymologie grecque. » Et l’on connait tous cet apophtegme d’inspiration directement proudhonienne de Bernanos : « La monarchie, c’est l’anarchie plus un. » On comprend que certains proudhoniens (Sorel, Berth, Valois) se soient rapprochés, un temps, de l’Action française…
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Stigmatisant la double aliénation politique et économique de l’homme moderne (Marx ne se préoccupera que de la seconde), Proudhon résout du même coup l’aporie d’un Rousseau observant, aux premières lignes de son Contrat social, que « l’homme est né libre et partout il est dans les fers. Tel se croit le maître des autres, qui ne laisse pas d’être plus esclave qu’eux. » Dans cette optique, la liberté n’est rien de plus que celle du « barbare » reclus « dans la sphère privée » dont, inévitablement, l’égoïsme souverain n’est rien de moins que tyrannique lorsqu’il se déploie dans la sphère publique. Aussi, parce qu’« au point de vue social, liberté et solidarité sont des termes identiques, […] l’homme le plus libre est celui qui a le plus de relations avec ses semblables ».
Cette conception de la liberté irrigue en profondeur le fédéralisme de Proudhon. Ici, elle n’est plus aliénée au bénéfice de la société, mais partagée entre tous les membres de la communauté, de sorte que l’autonomie de chacun est préservée et, partant, celle également de ladite communauté intriquée dans un complexe fédératif où les excès (notamment de l’État et du capitalisme) se font contrepoids, tandis que la subsidiarité assure l’harmonie du tout en réservant les compétences de chaque partie. De ce fait, il est frappant de voir que Proudhon emprunte à l’organicisme de la « communauté symbiotique » d’Althusius. L’un et l’autre ne conçoivent la politique que par le bas. À méditer d’urgence !
Docteur en droit, journaliste et essayiste
Revue de presse
Ils en parlent aussi :
Michel Onfray sur Onfray TV
Eugénie Bastié dans Le Figaro Magazine de 23 juin 2017
Natacha Polony sur Polony TV (lien ici) et sur le site du Comité Orwell
Alain Santacreu sur Contrelittérature
Aristide Leucate sur Boulevard Voltaire
Informations complémentaires
Pierre-Joseph Proudhon - L'anarchie sans le désordre
- Type : Livre
- Support : Livre broché
- Editeur : AUTREMENT
- Date de sortie : 31/05/2017
- DescriptionLe philosophe historien retrace la pensée politique de Pierre-Joseph Proudhon, anticapitaliste déterminé prônant une forme de démocratie libérale qu'il nomme anarchie.
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