Ce que les "blockbusters" révèlent de la société américaine
Star Wars (1977, 1980 et 1983), Eyes Wide Shut (1999), Blade Runner (1982), The Matrix "Matrix" (1999), Total Recall, (1990), The Mask of Zorro (1998), Conan, the Barbarian (1981)...
Loin d’être des productions cinématographiques neutres, les blockbusters américains sont souvent le reflet du malaise, ou, au contraire, de la confiance qu’éprouve la société américaine à un moment donné de son histoire. Décryptage du cinéma américain fin de siècle par Thibault ISABEL, Docteur en filmologie.
Aux Etats- Unis, les années 1970 ont été une période de profonde remise en cause des institutions. L’affaire du Watergate a jeté un discrédit radical sur la classe politique, et la révolte de la jeunesse est venue alimenter et amplifier la contestation sociale des minorités ethniques, sexuelles, etc. Hollywood reflète alors un sentiment de méfiance à l’égard des structures étatiques : c’est la grande époque des films « paranoïaques », d’Executive Action (1973) à Les Hommes du président (1976), en passant par Conversation secrète (1973) et Les Trois jours du condor (1975).
Les forces de l’ordre y sont représentées comme corrompues ; les politiciens complotent avec les consortiums industriels pour assurer leur profit individuel contre l’intérêt des citoyens ; les journalistes cherchant à dévoiler les corruptions sont menacés. Cette remise en cause du système, initialement marquée « à gauche », va paradoxalement, accompagner la montée en puissance du discours ultra- conservateur de Reagan.
Le leader du parti Républicain va en effet exploiter le sentiment de méfiance paranoïaque de la population américaine. Il en appellera à une critique du « Big Government » et du « Big Business », au nom d’une Amérique bafouée qui devrait reprendre ses droits. Sur les écrans, apparaît alors une race de surhommes. Seuls contre un monde corrompu, ils ont pour mission de rétablir l’ordre, redoublant d’une certaine manière l’image que Reagan cherchait à se donner dans l’arène politique. Ce sera l’époque de Rambo (1982) ou de Robocop (1987), films dans lesquels le héros est incarné par un citoyen américain désabusé par les institutions et devant combattre un représentant corrompu.
Dans les années 1990, en revanche, les Etats- Unis sembleront ragaillardis par le retour de la prospérité économique et leur victoire écrasante pendant la guerre du Golfe. Le sentiment d’unité nationale rétabli, l’ennemi, au cinéma, ne sera plus interne au système, mais extérieur à lui : il s’agira par exemple des extra- terrestres d’Independance Day (1996). Ce n’est pas un héros isolé et persécuté, comme dans les années 1970 et 1980, qui se confrontera à l’ennemi mais bien l’ensemble de la nation. On verra à l’écran des hommes et des femmes de toutes origines ethniques (WASP, blacks, latinos, etc.) et sociales (pauvres, riches, civils, militaires, hommes politiques) œuvrer collectivement - et même parfois se sacrifier - pour la grandeur et l’indépendance de leur pays.
Le paradoxe est que l’idéologie « humaniste » que peut véhiculer la solidarité entre les divers groupes culturels est ici le lieu d’expression d’un discours belliciste. Si l’Amérique doit s’unir, dans ce film, c’est pour anéantir un peuple étranger (alien), maléfique et menaçant la nation. Tous les films d’actions de la période ne seront pas aussi catégoriques mais bon nombre véhiculeront l’image d’une nation parfaitement soudée face à l’adversité, voire idéalisée, comme dans True Lies (1994) ou Le Pacificateur (1997).
Mais le début des années 2000 semble marquer un nouveau tournant. Le pays s’est une nouvelle fois divisé autour de la première élection très contestée de George W. Bush, mais aussi suite à la seconde intervention américaine en Irak. Certaines affaires financières, comme le scandale Enron, ont également renouvelé le discrédit jeté sur le monde du « Big Business ». Dès lors, les blockbusters reflètent dans leur majorité cette inquiétude : c’est le grand retour du cinéma paranoïaque. Des films comme Fight Club (1999), Matrix (1999), Minority Report (2001), X- Men 2 (2003) ou même Revenge of The Sith (2005) donnent l’image d’un système politique vénal, perverti par la soif du pouvoir.
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